LE CALENDRIER MANUFRANCE

Je n'avais qu'un vague souvenir de son emplacement dans la maison de mes parents. Lorsque j’eus l'idée de regarder sur les albums photos de la famille. Les années 60 rien, début des années 70 toujours rien.

Et tout à coup, sur une photo de 1976 prise à l'occasion de l'anniversaire d'un de mes frères, je prends une loupe pour m'en assurer, il est amputé de moitié par le bord de la photo, mais c'est bien lui, le fameux CALENDRIER MANUFRANCE, accroché dans la cuisine, à coté de la fenêtre, au dessus du radiateur.

En continuant à feuilleter cet album, arrivé à l'année 1980, une autre photo montrait ce même pan de mur de la cuisine, on peut y voir un pauvre éphéméride, seul, orphelin de la "véritable œuvre d'art" qui lui servait de tableau de fond. Le calendrier Manufrance avait vécu.

 

LIEUX DE MÉMOIRE, LEÇON DE PUB.

En 1997 France Culture consacra une émission "Lieux de mémoire" au catalogue Manufrance. Ce même catalogue dont Alexandre Vialatte disait s'être inspiré, car il contenait "un ramassis de choses grandes et magnifiques".
Le catalogue Manufrance marqua nombre de natifs d'avant 1970, il restera un objet de mémoire dans le sens ou nous sommes nombreux à avoir un souvenir particulier ou une évocation proustienne se rapportant à son feuilletage. Mais, il est fortement lié à la fois à la revue du Chasseur Français et au calendrier, une sorte de triptyque ou de trilogie.
L'association de ces trois éléments fût d'une efficacité commerciale remarquable pour maintenir le nom d'une marque à l'esprit des clients potentiels. Si le catalogue ou le chasseur français pouvait se retrouver dissimulé dans un tiroir, le calendrier était toujours visible, distillant son astuce journalière et ses feuillets publicitaires. On ne pouvait pas ne pas penser à Manufrance, la revue faisait la réclame pour les produits, le catalogue et le calendrier, qui lui-même faisait la publicité pour la revue, le catalogue et les produits.
Le catalogue universellement connu, collectionné, dont certains exemplaires sont réédités, et le Chasseur Français, qui existe toujours, célèbre aussi pour ses petites annonces, ont leur existence propre malgré la disparition de l'enseigne historique, même si la société Manufrance existe toujours aujourd'hui sous une autre forme.
Des trois éléments le calendrier est celui qui a laissé le moins de trace, même si les tableaux de fond sont collectionnés, et peuvent aussi jouer un rôle d'objets mémoriels, les éphémérides comme leur nom l'indique sont éphémères et ont disparu au fil de leur effeuillage journalier. Le calendrier était le plus présent quotidiennement, et a disparu d'un coup le 31 décembre 1979.
Il méritait bien quelques pages sur internet.

 

HISTORIQUE

De 1922 à 1979, la Manufacture Française d'Armes et Cycles de Saint-Étienne, et plus tard Manufrance, proposa à ses clients, ainsi qu'aux lecteurs de la revue " Le Chasseur Français", un calendrier éphéméride sous la forme d'une gravure, accompagné d'un calendrier à effeuiller.
Les calendriers de l'année à venir étaient annoncés et proposés à la vente dans le numéro de décembre de la revue du Chasseur Français.
Des annonces insérées dans les feuillets de l’éphéméride à partir du mois de novembre rappelaient aussi qu'il était temps de commander son calendrier.
Ce sont les annonces parues dans le Chasseur Français qui sont présentées ici, classées par décennies. Elles montrent la gravure prévue avec indication de l'année, permettant ainsi de dater précisément chaque calendrier.
Dans les galeries photo, chaque annonce publiée en monochrome, jusqu'en 1965, est suivie d'une vue du calendrier en couleur, lorsque j'en possède un exemplaire.
Sous l'étiquette "L'éphéméride", vous pourrez voir quelques exemples de feuillets détachables, avec leurs fameuses astuces du jour.
Il n'y eut pas d'édition du calendrier en 1938, à cause d'un mouvement de grève à la Manufacture qui dura du 3 août au 8 novembre 1937. La publication du chasseur Français fut aussi perturbée par cette grève, puisqu'il n'y eut qu'une seule parution regroupant les numéros des mois de septembre à décembre.
Le chasseur Français cessa sa publication de 1942 à 1946 en raison de la guerre, mais il semble que la publication du calendrier cessa dès 1941 et ne reprit qu'en 1950, en tous cas je n'en ai pas trouvé trace entre ces 2 dates. Pour le retour du calendrier en 1951, l'annonce parut dans le numéro de novembre 1950 de la revue.
Ensuite, ce calendrier fut disponible tous les ans jusqu'en 1979. En 1980, Manufrance dépose le bilan, vend le Chasseur Français, et le calendrier disparaît après avoir, pendant plus de 50 ans, décoré les intérieurs de milliers de foyers français.
Après quelques tentatives de relance, la liquidation judiciaire de Manufrance est prononcée en 1985. Manufrance est relancé en 1988, et fonctionne aujourd’hui avec la vente par correspondance par un site internet et un magasin à Saint-Étienne, mais sans le calendrier.

 

LES ILLUSTRATEURS

Plusieurs peintres et illustrateurs se succédèrent au fil des années afin de fournir l'illustration de couverture du Chasseur Français ainsi que la gravure du calendrier. La manufacture utilisa des œuvres existantes, mais fit aussi travailler des artistes sur commande. Ici, pas de peintres d'avant garde, il s'agit exclusivement de peintures animalières. La qualité est inégale, mais certaines œuvres sont superbes, d’ailleurs on retrouve aujourd'hui certains originaux dans les salles de vente ou les galeries, comme par exemple des œuvres de Rötig.

-Georges Ripart (1871-1935) Illustrateur, graveur, illustration d'ouvrages et affiches. 5 calendriers: 1924, 1925, 1926, 1931, 1940.

- André Frémond (1884-1965) Peintre, scène de chasse du moyen-âge et de course de chevaux. 1 calendrier: 1929.

-Adolphe Thomasse (1850-1930) Peintre, animalier, paysage, marine, illustrateur d'éventail. 1 calendrier: 1930.

-Pierre-Olivier Dubaut (1886-1968) Peintre, aquarelliste, scène équestre. 1 calendrier: 1932.

-Georges-Frédéric Rötig (1873-1961) Peintre animalier. 11 calendriers: 1933, 1934, 1935, 1936, 1937, 1939, 1951, 1953, 1955, 1957, 1959.

-François Castellan Peintre illustrateur. Seule une de ses oeuvres fût utilisée pour un calendrier, celui de 1963, mais il est l'auteur des aquarelles illustrant "Les chiens de chasse", ouvrage publié par la manufacture.

-Eugène Lelièpvre (1908-2013) Peintre, illustrateur, peintre officiel de l'armée. 22 calendriers: 1952, 1954, 1956, 1958, 1960, 1961, 1962 et de 1964 jusqu'au dernier calendrier celui de 1979.

Les auteurs des calendriers de 1922, 1923, 1927 et 1928 me sont inconnus. Le nom de l'artiste ne fût indiqué dans l'annonce du chasseur français qu'à partir de 1929, mais on reconnait très bien la signature de Georges Ripart sur les calendriers 1924, 1925 et 1926. Par contre les signatures des calendriers 1922 et 1923 sont illisibles sur les annonces du chasseur français et celles de 1927 et 1928 ne sont pas visibles. Peut être que sur les calendriers eux-mêmes la signature est déchiffrable, donc si vous possédez un des ces 4 calendriers, l'info m’intéresse, merci.

Il est a noter que pendant toutes les années cinquante G.F. Rôtig et E. Lelièpvre illustrèrent le calendrier en alternance, les années impairs pour Rötig et les années paires pour Lelièpvre.

 

IMPRESSIONS ET IMPRIMEURS

De l'origine, 1929, à 1955 il n'est fait mention d'aucun imprimeur. A partir de 1956, le calendrier perd ses deux réglettes métallique de rigidification et l'imprimeur DRAEGER est mentionné par: "DRAEGER IMP." en bas de chaque affiche, et à partir de 1976 on peut lire: "DRAEGER MAITRE IMPRIMEUR". De 1956 à 1960, il est d'ailleurs indiqué dans l'annonce du Chasseur Français que le calendrier est imprimé par "les maitres imprimeurs Draeger". Draeger est une famille d'imprimeurs célèbres, qui œuvra dans le monde de l'édition et de la publicité pendant près d'un siècle à partir de la fin du 19ème, avant de disparaitre dans les années 1970. Un descendant de la famille Draeger a fondé en 1984 une société d'éditions d'art, les éditions Anthèse.

 

Au sujet du mode d'impression, sachant que ces calendriers étaient tirés à plusieurs milliers d'exemplaires, on peut voir sur la figure 1, un agrandissement du calendrier de 1929, la trame d'impression qui est nettement visible, à l'époque il ne peut s'agir que d'héliogravure.

Il s'agit d'un procédé d'impression en creux, dans lequel l'image est tramée, échantillonnée en petits points, photogravée sur une plaque de cuivre qui est ensuite attaquée à l'acide. Les petits points de la trame se transforment en petits creux, dont la profondeur est proportionnelle à l'intensité de la couleur.

Il y a quatre trames et donc quatre passages, un pour chaque couleur, cyan, magenta, jaune et un pour le noir. Chaque trame est décalée d'un certain angle afin que les points d'impressions soient côte à côte, ce qui forme le motif "œil de perdrix" de la trame.

Sur la figure 2, un agrandissement du calendrier de 1956, on voit toujours une trame mais plus de motif "oeil de perdrix". C'est le premier calendrier sur lequel l'imprimeur Draeger est mentionné. Il peut s'agir d'impression par offset, technique qui se répandait dans les imprimeries dans les années cinquante. Tous les calendriers suivants ont cette même trame.

Mes connaissances en imprimerie étant limitées, si un des visiteurs de ces pages a des notions en technique d'impression, toute information sera la bienvenue.

Toutes autres remarques ou informations seront aussi les bienvenues.

 

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